Nicole Morgan[1]
Abstract. « Nous autres, civilisations, soupira un jour Valéry, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». Le coup fut difficile pour la psyché occidentale déjà ébranlée par l’annonce nietzschéenne de la mort consommée de Dieu. Ceux qui ne croyaient plus aux arrières-monde devaient-ils abandonner l’espoir-refuge d’éternité d’une raison transcendantale à laquelle nous avait accoutumée l’arrogance les Lumières? Certes Fernand Braudel a tenté de nous rassurer comme nous rassurons des enfants en leur parlant de vie longue suivie d’un long sommeil « Ce que l’historien des civilisations peut affirmer, mieux qu’aucun autre, nous promet-il, c’est que les civilisations sont des réalités de très longue durée. Elles ne sont pas “mortelles “, à l’échelle de notre vie individuelle surtout, malgré la phrase trop célèbre de Paul Valéry. Je veux dire que les accidents mortels, s’ils existent et ils existent, bien entendu, et peuvent disloquer leurs constellations fondamentales les frappent infiniment moins souvent qu’on ne le pense. Dans bien des cas, il ne s’agit que de mises en sommeil. »[2]
Mais les enfants grandissent et l’angoisse refait surface d’autant plus forte qu’elle se double aujourd’hui de prises de conscience particulièrement douloureuses : 1) prise de conscience de la perte inéluctable de la suprématie de la civilisation Occidentale dite raisonnable 2) prise de conscience de l’extinction rapide des cultures multiples locales adaptatives et surtout 3) prise de conscience d’une mort que l’on dit maintenant probable à moyen terme de l’humanité précipitée par son impossibilité de gérer raisonnablement ses ressources et de maîtriser ses techniques. L’espoir, s’il y en a un, se déplace vers celui d’une écologie des savoirs, d’une civilisation globale unique dont les valeurs commencent à se profiler mais nous sont si étrangères qu’elles remettent en question la stabilité de l’homo sapiens.
Rien de nouveau sous le soleil?
En 1919, alors que l’Europe sortait affaiblie d’une guerre particulièrement sinon stupidement meurtrière, Paul Valery[3] refléta l’angoisse européenne de son époque en soupirant à « haute plume » « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles ». L’idée en soi était bien peu originale : le thème de la finitude humaine revient périodiquement dans les mythes et épopées que l’humanité se raconte à elle-même avec plus ou moins de talent. Salomon et Platon nous avaient prévenu il y a bien longtemps. Pourquoi s’étonner? « Il n’y a rien et n’y aura jamais rien de nouveau sous le soleil »; la vie ici-bas, individuelle ou collective est vouée à la mort. La chrétienté avait repris le thème avec un enthousiasme qui frisait le fanatisme expurgatoire mais toutefois ces gémissements n’avaient rien de désespérant puisqu’ils servaient de faire-valoir à la promesse d’un arrière monde imputrescible éternel et immuable, le royaume hors temps des Idées pour les philosophes ou de Dieu pour les croyants. L’essentiel est que la mort, idée insupportable à la psyché humaine, soit transcendée. Nous pouvons faire face au retour inéluctable à la poussière puisqu’on nous promet qu’elle sera baignée dans la Lumière.
L’étincelle fut reprise au vol par les Lumières il va de soit. On les décrit comme l’évacuation des arrière-mondes religieux et l’avènement de la raison. C’est dans une certaine mesure faux. Certes les Lumières ont évacué les révélations mystiques des arrières mondes et ont renoncé à un paradis peuplé d’anges mais elles ont gardé plus pur que jamais le désir d’immortalité en remplaçant un mot (Dieu) par un autre (Raison transcendantale), déplaçant ainsi l’espoir de l’au delà vers l’en deçà d’une éternité historique qui a pour nom marche de la civilisation, étendue à l’horizon de toute l’humanité.[4] Nous parlons ici non pas d’un simple dépassement de la vie individuelle par une famille ou une culture ou une civilisation, la structure la plus forte des regroupements humains, mais bien du dépassement de la vie individuelle par l’Idée.
Les idéaux-archétypes platoniciens se firent lois catégoriques énoncées par Kant. L’épitomé des Lumières se persuade sans trop de difficultés qu’il avait prouvé à jamais que les lois morales avaient valeur d’évidence universelle mathématique. Qui ne les acceptait pas était, comme au temps d’Athènes, relégué en dehors des murs idéologiques de la « cité », lieu de LA civilisation et de LA culture et avait pour nom « barbare ». Les « matins qui chantent » promis par Marx et autres promesses de progrès remplacèrent les paradis remplis d’anges. Ajoutons que les deux évidences, religieuse et philosophique, ne sont en rien exclusives offrant ainsi une double garantie aux angoissés du retour à la poussière totale. Les plus croyants peuvent non seulement penser que leurs valeurs collectives vont civiliser le monde dans les siècles des siècles, mais qu’ils pourront, à leur mort individuelle rejoindre Dieu.
Mais le soupçon est lui aussi en marche. L’angoisse des finitudes imprègne petit à petit la pensée occidentale de la fin du XIXème siècle et du début du XXème, une époque particulièrement fertile, notons-le, en remue ménages de toutes sortes[5]. Nietzche annonça en 1882 qu’après une longue agonie, non seulement Dieu était officiellement mort[6] mais que « son cadavre empestait le monde »[7]. En1918, Oswald Spengler dans Le Déclin de l’Occident[8] avança l’hypothèse que l’histoire humaine n’avait pas de sens déterminé, qui présidait à l’avènement de « LA » civilisation. Il n’y a pas une civilisation mais des cultures qui sont repliées sur elles-mêmes et n’ont aucune communication, influence ou compréhension réciproques. Comme toute entité individuelle, elles naissent, vieillissent et meurent. La civilisation occidentale, dont Spengler annonce « le déclin imminent » ne ferait certes pas exception et avait, selon lui, amorcé sa descente entropique.
Quelques mois plus tard ce fut au tour de Valéry de lancer la phrase-choc que l’on connait. Il devient maintenant concevable que tout ce corpus d’idéaux, d’art, de lois et de sciences qui forme notre « haute civilisation », incarnation de l’Idée, ne soit qu’un corpus comme un autre, parmi les autres, et donc voué à la finitude et à la disparition totale. Il faut lire le texte de Valéry jusqu’au bout pour comprendre que sa lamentation n’est pas un vague à l’âme romantique mais est bien la prise de conscience d’un relativisme historique. « Nous autres, civilisations, nous savons maintenant que nous sommes mortelles. Nous avions entendu parler de mondes disparus tout entiers, d’empires coulés à pic avec tous leurs hommes et tous leurs engins; descendus au fond inexplorable des siècles avec leurs dieux et leurs lois, leurs académies et leurs sciences pures et appliquées, avec leurs grammaires, leurs dictionnaires, leurs classiques, leurs romantiques et leurs symbolistes, leurs critiques et les critiques de leurs critiques….
Élam, Ninive, Babylone étaient de beaux noms vagues, et la ruine totale de ces mondes avait aussi peu de signification pour nous que leur existence même. Mais France, Angleterre, Russie… ce seraient aussi de beaux noms. Lusitania aussi est un beau nom. Et nous voyons maintenant que l’abîme de l’histoire est assez grand pour tout le monde. Nous sentons qu’une civilisation a la même fragilité qu’une vie. » Ce fut l’époque des phrases-choc. Sous une lumière déclinante, Dostoïevski assena le coup de grâce dans son ched d’œuvre, les frères Karamozov « Si Dieu n’existe pas tout est permis ».[9]
Le « nous » que nous utilisons est toujours réductif et bien eurocentriste. Si les phrases sont lapidaires et les formules font frémir, dans le temps réels des villages et des villes les croyances en Dieu et/ou au progrès se côtoient et s’affrontent quelquefois dans la violence, d’autres fois dans la bonne humeur grâce au talent pour ne citer qu’eux de Marcel Pagnol ou de Giovannino Guareschi[10]. La longue durée est d’ailleurs une des caractéristiques des civilisations : les mythes et croyances qui en forment la trame sont séculaires.
Fernand Braudel entre autres, tente de nous rassurer comme nous rassurons nos enfants qui découvrent la mort en leur parlant de vie longue suivie d’un long sommeil « Ce que l’historien des civilisations peut affirmer, mieux qu’aucun autre, nous promet-il, c’est que les civilisations sont des réalités de très longue durée. Elles ne sont pas “mortelles “, à l’échelle de notre vie individuelle surtout, malgré la phrase trop célèbre de Paul Valéry. Je veux dire que les accidents mortels, s’ils existent et ils existent, bien entendu, et peuvent disloquer leurs constellations fondamentales les frappent infiniment moins souvent qu’on ne le pense. Dans bien des cas, il ne s’agit que de mises en sommeil. »[11]
D’autres cas d’espèce sont possibles et ont été l’objet d’études sans nombre : certaines civilisations ont disparu radicalement[12], d’autres ont perduré mais ont été plus ou moins assimilées par d’autres civilisations[13]; certaines se sont réveillées après une période plus ou moins longue de sommeil[14] dont parle Braudel, d’autres semblent endormies à jamais; certaines sont pétrifiées, d’autres se transforment[15]. Ronald Wright dans un livre synthèse remarquable (« La fin du progrès ») offre une explication qui préside à ces changements. Nous y reviendrons.
À l’aulne ce schéma « classique », l’Occident vieillit, c’est inévitable, et perd l’hégémonie dont il a bénéficié pendant des siècles. Sa supériorité économique n’est plus, sa supériorité militaire est remise en question, sa culture n’est plus proéminente et ses valeurs encore toutes chrétiennes sont remises en question de l’extérieur et de l’intérieur par d’autres civilisations (musulmane, chinoise) qui semblent renaitre de leurs cendres, après ce long sommeil dont nous parle Braudel.
Dans les nombreux livres et articles qui lui sont consacrés, la renaissance chinoise évoque plus de respect que de crainte. Elle est lointaine géographiquement (les Chinois immigrent relativement peu) et surtout elle est principalement économique, s’intégrant ainsi dans une civilisation universelle sur laquelle nous allons revenir. En ce sens une possible hégémonie militaire chinoise ne déclenche pas les angoisses provoquées par la renaissance de la civilisation musulmane (perçue à tort comme monolithique).
Certains, comme Mark Steyn, Dans son livre au titre évocateur : America Alone: The End of the World As We Know It, compare la croissance de la population musulmane au sein de l’Europe à un génocide[16] [17]. Selon lui, L’Europe, faute de s’être reproduite sera envahie démographiquement. L’Amérique est le seul espoir de survie de la civilisation.
Ce à quoi Patrick J. Buchanan’s dans un livre au titre tout aussi évocateur The Death of the West lui répond que les États-Unis affaiblis par les débordements de leur melting pot ne pourront pas prendre la relève et sont voués au même sort.[18] Les « barbares » inassimilables (de race et religion différentes) et en grand nombre sont dans la cité et aux portes de la cité, laquelle est aujourd’hui incapable de maintenir son hégémonie et intégrer dans sa culture une immigration sauvage venue du tiers monde.
De fait si on s’en tient aux seuls indicateurs démographiques, il est indéniable que l’Occident est dépassé. Au début du XVème siècle l’Europe et l’Amérique du Nord représentaient (à l’estimé) % de la population mondiale, aujourd’hui elles ne représentent plus que 11.3% et 5.1%. (Allant à la baisse).
À l’interne, les immigrants du tiers monde et populations musulmanes dont la présence était statistiquement négligeable au début du XXème siècle, représentent plus d’un dixième de la population française. Passons au Canada ou on l’on sort du religieux et désigne l’étranger par le terme plus vague terme controversé de « minorité visible » : En 2001, près de 4 millions de personnes au Canada s’étaient identifiées comme étant des membres des minorités visibles, ce qui constitue 13,4 % de l’ensemble de la population. Cette proportion a augmenté de façon constante au cours des vingt dernières années. En 1981, les 1,1 million de membres des minorités visibles formaient 4,7 % de la population totale. Ce n’est qu’un début car la population de minorités visibles croît beaucoup plus rapidement que l’ensemble de la population.[19] On projette que dans 5 ans les minorités visibles de Toronto seront majorité, un changement rapide s’il en est puisqu’elles étaient encore « invisibles » démographiquement parlant en 1950.
Est-ce bien nouveau? La dynamique des mouvements migratoires ont après tout formé l’Europe et l’Amérique du Nord. Mais il s’agit ici d’une autre dynamique
Car ce qui est déclaré visible n’est pas tant la couleur de la peau (plus foncée) que l’affiliation à une autre civilisation. Jusqu’en 1950, les mouvements migratoires en Europe comme en Amérique du Nord étaient endogènes au monde chrétien qui a formé le socle moral et politique de ce qu’on appelle la civilisation occidentale. Le « même » intégrait le « même » et les quelques petites différences de langage et de mœurs régionales ne faisait pas obstacle aux lois politiques et sociales communes. Elles ne faisaient qu’ajouter de la couleur. Aujourd’hui l’immigrant est « l’autre » d’autant « autre » qu’il affiche souvent une religion forte et proclame son désir de rester différent sinon de conquérir le territoire d’accueil. Des auteurs parlent d’une conquête de l’Occident menée sur deux fronts : radicalisation interne et guerre terroriste à partir pays d’origine[20]. Le succès du livre de Samuel Huntington Le choc des civilisations[21] doit se comprendre dans ce contexte[22]. Dans les discours angoissés, la fin de la civilisation Occidentale dont on parle est bien celle de la fin de la civilisation judéo-chrétienne au profit de la civilisation musulmane entre autres qui imposera de manière forte ses valeurs, son droit et ses mœurs aux colonisés de l’intérieur.
Nous n’allons pas aujourd’hui tenter une prospective qui ferait la part des fantasmes et de la réalité, ni poser la question des modalités des mouvements (conflictuels radicaux, latents, assimilatoires, évolutifs, etc..) ni même poser la question de la survie des valeurs promues par l’Occident énoncées de manière toujours claire dans les discours du président américain (respect de la vie, de la liberté individuelle, de l’éducation, de la démocratie, du droit, aide au plus faibles, croyance au progrès, au bien être matériel, et au dialogue diplomatique, etc…) [23]
Nous allons sortir de « l’habitude hégémonique» proposé par le modèle historique linéaire et cesser de nous demander laquelle des civilisations émergeantes va prendre le leadership et proposer l’hypothèse de la disparition rapide de toutes les cultures et civilisations au profit d’un « vortex » auquel nous hésitons d’associer le nom de « civilisation ». Seulement alors pourrons-nous poser la question importante de l’évolution de « l’animal politique » au sens profond du terme et de la possible non survie de l’humanité.
La tentative de sortir de des modèles classiques ne se veut pas un jeu d’esprit. Car il y a bien quelque chose de nouveau sous le soleil : sa surchauffe.
Désordres humains et surchauffe solaire
Mais revenons d’abord à ce modèle classique et ce que sont les complexes culturels qui sont la base des civilisations.
- Dans le modèle classique auxquels nous nous référons, les cultures et civilisations ont prit le temps au temps et ont installé des poches de stabilité spatiales et temporelles qui dépassent non seulement la vie individuelle mais celle de plusieurs générations. En cela nous sommes vraiment « l’animal politique » au sens où notre survie est tributaire de traditions transmises par ce qu’on appelle une « culture » (langage, us et coutumes).
- Laquelle s’inscrit dans le code génétique humain. Par exemple la métabolization de notre nourriture a cessé d’être “naturelle”, c’est-à-dire adaptée directement au milieu naturel depuis que l’homme est sapiens. Nous savons qu’il a intégré rapidement les techniques qu’il a inventées et transmises au point où l’anthropologue Gordon Childe a démontré que « l’homme est un produit de l’homme » (“man makes himself”) just like he transforms nature to a point of non return. Son corps est devenu au sens proper une “techné”. Les vêtements, du feu, des flèches etc… nous permettent d’économiser notre énergie et nous avons passé le savoir non seulement par la parole mais nous l’avons écrit dans notre code génétique, un gène à la fois. L’adaptation indirecte a un prix : celui de nous transformer selon Nietzsche en « l’animal le plus décadent du monde ». “Man, Childe explains, very quickly became “inadequately adapted for survival in any particular environment. His bodily equipment for coping with any special set of conditions is inferior to that of most animals. He has not, and probably never had, a furry coat like the polar bear’s for keeping in the body’s heat under cold conditions. His body is not particularly well adapted for escape, self-defence, or hunting. He is not, for instance, exceptionally fleet of foot, and would be left behind in a race with a hare or an ostrich. He has no protective colouring like the tiger or the snow leopard, nor bodily armour like the tortoise or crab…He lacks the beak and talons of the hawk and its keenness of vision. For catching his prey and defending himself, his muscular strength, and nails are incomparably inferior to those of the tiger.”[24] Man’s body has become a techné which depends mainly on external technologies that is on human communities producing and managing them. We leave here for ever the word of biology and zoology for this knowledge is transmitted “artificially” through cultures. We are not animals such as birds, not even social animals such as lions or chimps, we are the gloriously decadent “political animal” as Aristotle put it, that is the animal living within a polis, itself a construction of rules, language and traditions.[25] (the memes en anglais)
- Outre les changements propres à l’homo sapiens universel, certaines différences culturelles, notamment dans le processus de métabolisation de la nourriture, se sont inscrits dans les gènes : certains ne digèrent plus le lait de vache d’autres sont incapables d’assimiler les sucres raffinés et l’alcool. D’où les explosions de diabètes qui sont en train de décimer les populations du Grand Nord.
- De manière en apparence plus abstraite mais tout aussi importante est la cohésion culturelle du corps social à travers le langage, les coutumes et les arts qui dans laquelle s’inscrit la cohésion de l’individu. Elle préside à la survie du groupe et des individus
- Les systèmes sont stables mais souples, en constante évolution et communication les uns avec les autres, échangeant (de gé ou de force) arts et techniques qui pouvaient être empruntées et adaptées sans détruire la cohésion du corps social. Les cultures dominantes (les meilleures techniques, la meilleure cohésion) ont assimilé par génocide ou adaptation les cultures les plus faibles, les obligeant à commercer dans leur langue. Le mouvement s’est accéléré et l’on a calculé que 3500 langues avaient été réduites au silence ces 3500 ans. Tous les 15 jours, une langue tombe dans l’oubli. Conséquence: dans une centaine d’années, la moitié des 7.000 langues existantes aujourd’hui — 80% de la population de la planète communique au travers de 83 langages — aura disparu selon une étude réalisée par l’Institut pour la survie des langues menacées et par le «National Geographic Society».
- Ceci vaut pour tous les modes de vie traditionnels et notamment ceux attachés aux repas, des moyens de production à la préparation en passant par les produits eux-mêmes. [26]
Si on fait le pari d’une continuité des tendances vers l’uniformité on pourrait proposer l’hypothèse que le phénomène mondialisation est la mise en place d’une civilisation universelle. Les nouvelles technologies uniformisent les modes de vie, un phénomène constaté par Fernand Braudel « Tous les observateurs, tous les voyageurs, enthousiastes ou maussades, nous disent l’uniformisation grandissante du monde. Dépêchons-nous de voyager avant que la terre n’ait partout le même visage! En apparence, il n’y a rien à répondre à ces arguments. Hier, le monde abondait en pittoresque, en nuances; aujourd’hui toutes les villes, tous les peuples se ressemblent d’une certaine manière: Rio de Janeiro est envahi depuis plus de vingt ans par les gratte-ciel; Moscou fait penser à Chicago; partout des avions, des camions, des autos, des voies ferrées, des usines; les costumes locaux disparaissent, les uns après les autres… »
Quant aux hégémonies, elles sont maintenant tributaires d’une internationale financière qui n’a ni frontière, ni corps social, ni responsabilité ni culture autre que celle de mettre à profit les ressources de la planète. Les corporations parlent le même langage. Certes bien des modes de vie ancestraux occidentaux vont disparaitre complètement, ou bien se retrouver semi-momifiés dans des musées d’arts et cultures, mais les idées répandues par des moyens de communication dont la portée et la force sont sans précédent s’échangent et se discutent sur un forum mondial. L’année dernière nous avons assisté à l’élection démocratique d’un président non pas seulement des États-Unis mais du monde, élu de facto qui communiquent aujourd’hui entre eux dans un langage techno-universel fait d’images et de sons qui parlent directement à l’inconscient collectif de l’humanité, exprimé au cours de la longue histoire des civilisations par des mythes [27]à résonnance universelle.
Est-ce la fin de l’histoire annoncée par Francis Fukuyama? On voudrait y croire. Néanmoins il est temps aussi de considérer des scénarios de discontinuité pour le moins troublant.
Car il y a vraiment du nouveau sous le soleil : Une explosion démographique et une surchauffe technoscientifique sans précédent affectent simultanément et à un degré jamais atteint, toutes les stabilités, géopolitique, linguistique, culturelle, technique, génétique, écologique autour desquelles civilisations et cultures ont inscrit à date leur longue durée.
Sur une plus grande échelle les méga flip-flops climatiques ont présidé à l’extinction massive d’espèces animales et végétales[28]Diamond in Collapse (2005). And, looking forward into the 21C, Our Final Hour by Sir Martin Rees (2003) made a very persuasive case that, one way or another,
we won’t make it. (British title was Our Final Century: The 50/50 Threat to Humanity’sSurvival.)
[1] Nicole Morgan est professeur titulaire au Collège militaire royal du Canada où elle enseigne la philosophie politique depuis 2001. Son parcours constitue un trait d’union entre deux cultures et deux continents, l’Europe et l’Amérique. Après une maîtrise de philosophie à l’université de Dijon et de sociologie et anthropologie à l’Université d’Aix-en-Provence, elle obtient en 1993 un doctorat de philosophie à l’Université d’Ottawa (Canada).
Elle a publié plusieurs ouvrages sur les tendances de notre temps, dont Le Manuel de Recrutement d’Al-Qaïda (Seuil 2007, en collaboration avec Mathieu Guidère), Le Connu, l’Oublié et l’Impensable (Ottawa 1996), Le Sixième continent (Librairie philosophique Jean Vrin, Paris, 1996), Jouer à l’Égalité CCSF, Ottawa 1988), Implosion (Institut de Recherches politiques, Montréal, 1996), Où aller? (Institut de Recherches Politiques, Montréal, 1981)
[2] Ce texte est extrait de l’article de Fernand Braudel “Histoire des Civilisations: le passé explique le présent” publié en 1959 dans L’encyclopédie française et repris en 1997 dans Les Ambitions de l’Histoire (Paris, Éditions de Fallois, 1997). Le titre et les intertitres sont de la rédaction du “Temps stratégique”.
[3] La Crise de l’esprit
[5] Fin des empires, des colonies
[6] Nietzsche Dieu est mort ! Dieu reste mort ! Et c’est nous qui l’avons tué ! Comment nous consoler, nous les meurtriers des meurtriers ? Ce que le monde a possédé jusqu’à présent de plus sacré et de plus puissant a perdu son sang sous notre couteau. — Qui nous lavera de ce sang ? Avec quelle eau pourrions-nous nous purifier ? Quelles expiations, quels jeux sacrés serons-nous forcés d’inventer ? La grandeur de cet acte n’est-elle pas trop grande pour nous ? Ne sommes-nous pas forcés de devenir nous-mêmes des dieux simplement — ne fût-ce que pour paraître dignes d’eux ? »
— Le Gai Savoir, Livre troisième, 125.
[7] « Ainsi parlait Zarathoustra »
[8] Esquisse d’une morphologie de l’Histoire universelle
[9] « Que faire, si Dieu n’existe pas, si Rakitine a raison de prétendre que c’est une idée forgée par l’humanité ? Dans ce cas, l’homme serait le roi de la terre, de l’univers. Très bien ! Seulement, comment sera-t-il vertueux sans Dieu ? Je me le demande. En effet, qui l’homme aimera-t-il ? À qui chantera-t-il des hymnes de reconnaissance ? Rakitine rit. Il dit qu’on peut aimer l’humanité sans Dieu. Ce morveux peut l’affirmer, moi je ne puis le comprendre » Les Frères Karamazov ~ IV. L’hymne et le secret Traduction Henri Mongault
[10] Don Camillo
[11] Ce texte est extrait de l’article de Fernand Braudel “Histoire des Civilisations: le passé explique le présent” publié en 1959 dans L’encyclopédie française et repris en 1997 dans Les Ambitions de l’Histoire (Paris, Éditions de Fallois, 1997). Le titre et les intertitres sont de la rédaction du “Temps stratégique”.
[12] Ronald Wright. A Short History of Progress.
[13] Donald Kagan, The End of the Roman Empire: Decline or Transformation? (3rd edition 1992) – a survey of theories.
[14] Renaissance arabe
[15] Fernand Braudel
[16] “Why did Bosnia collapse into the worst slaughter in Europe since World War Two? In the thirty years before the meltdown, Bosnian Serbs had declined from 43 percent to 31 percent of the population, while Bosnian Muslims had increased from 26 percent to 44 percent. In a democratic age, you can’t buck demography—except through civil war. The Serbs figured that out—as other Continentals will in the years ahead: if you can’t outbreed the enemy, cull ’em. The problem that Europe faces is that Bosnia’s demographic profile is now the model for the entire continent.”
[17] It’s the Demography, Stupid
The real reason the West is in danger of extinction.
by MARK STEYN
Wednesday, January 4, 2006 12:01 A.M. EST
Most people reading this have strong stomachs, so let me lay it out as baldly as I can: Much of what we loosely call the Western world will not survive this century, and much of it will effectively disappear within our lifetimes, including many if not most Western European countries. There’ll probably still be a geographical area on the map marked as Italy or the Netherlands–probably–just as in Istanbul there’s still a building called St. Sophia’s Cathedral. But it’s not a cathedral; it’s merely a designation for a piece of real estate. Likewise, Italy and the Netherlands will merely be designations for real estate. The challenge for those who reckon Western civilization is on balance better than the alternatives is to figure out a way to save at least some parts of the West.
[18] Relying on United Nations population statistics, and citing such diverse sources as Yogi Berra and Rhett Butler, Buchanan sees for America four “clear and present dangers”: declining birth rates; uncontrolled immigration of peoples of “different colors, creed, and cultures”; a rise of “anti-Western” culture antithetical to established religious, cultural, and moral norms; and a “defection of ruling elites” to the idea of world government. His solutions include higher wages and tax breaks for parents than for singles, a dramatic rollback of immigration quotas, and a National History Bee.
[19] Source : Adapté de « Profil – citoyenneté, immigration, lieu de naissance, statut des générations, origine ethnique, minorités visibles et peuples autochtones, pour le Canada, les provinces, les territoires, les divisions de recensement et les subdivisions de recensement, Recensement de 2001 – données-échantillon (20 %) » provenant de Statistique Canada (Numéro du catalogue: 95F0489XCB2001001).
[20] La conquête de l’occident , Le projet secret des islamistes Sylvain Besson
[21] Samuel Huntington, Le Choc des Civilisations, Éditions Odile Jacob, Paris, 2007
[22] Selon Huntington, les conflits civilisationnels peuvent se manifester de plusieurs manières :
entre deux civilisations sur leurs frontières : cas de l’Islam au contact des autres civilisations (Bosnie-Herzégovine, Cachemire, Nigeria, Pakistan) ;
entre civilisations du fait de la domination de l’Occident : les autres civilisations cherchent à s’affirmer face à un Occident dominateur ;
à l’intérieur d’une civilisation : lutte de pouvoir pour le contrôle d’une civilisation, comme la lutte entre islamistes et réformateurs dans le monde islamique ;
lutte à l’intérieur d’un pays : cas d’un pays déchiré entre plusieurs civilisations (Huntington cite la Turquie, le Mexique, la Russie et l’Australie).
[23] Le fait qu’il soit d’origine africaine est d’une importance symbolique qui n’échappe à personne : l’assimilation est évidente et l’Occident non seulement perdurerait mais imposerait son modèle au monde entier.
[24] V. Gordon Childe. Man makes himself. Bradford-on-Avon: Moonraker Press & Pitman publishing Ltd, 1981 pp.41-42
[25] Genes, Memes and Human History: Darwinian Archaeology and Cultural Evolution
by Stephen Shennan
[26] The End of Tradition? Nezar Alsayyad. Routledge, UK
[27] « Myth is an arrangement of the past, whether real or imagined, in patterns that reinforce a culture of deepest values and aspirations …Myths are so fraught with meaning that we live and die by them. They are the maps by which cultures navigate through times” Ronald Wright Stolen Continents: Conquest and resistance in the Americas (Boston: Houghton Mifflin, 1992, p5.)
[28] In the history of Earth, there have been five mass extinctions in which at least half the species on the planet disappeared. Scientists believe the extinctions were brought on by natural disasters — massive volcanic eruptions, rapid climate changes and meteors hitting Earth.
Today, scientists say we are in the middle of a “sixth extinction” — and for the first time, it’s being caused by one species — us. It seems inconceivable that we could do so much damage to our planet that we actually cause society as we know it to collapse. But historical precedent shows that it is, in fact, a very real possibility.
“Every society that collapsed thought it couldn’t happen to them,” says Joseph Tainter, an expert in anthropology and societal collapse. “The Roman Empire thought it couldn’t happen. The Maya civilization thought it couldn’t happen. Everyone thought it couldn’t happen to them. But it did.”
These populations grew too much and exhausted their resources — and their climate suddenly changed. People were forced to fight each other for what little was left or face starvation. Entire societies broke down.
“Civilizations in the past have lost the fight,” says climatologist Heidi Cullen. “They have collapsed as a result of the inability to deal with several different events going on at once. I think the takeaway is that honestly, we are not that special.”
D’autres études utilisent des découvertes anthropologiques en pleine effervescence pour mettre les problèmes en perspective historique ou préhistorique et relativiser ainsi nos peurs. L’humanité en a vue d’autres. De plus il ne faut pas confondre le medium et le message. S’il est vrai que les nouveaux moyens de communication hors espace donnent à ces vieilles angoisses une ampleur et une résonnance jamais atteintes en nombres absolus[28]il reste encore à faire la démonstration 1) que la peur des finitudes de nos contemporains est plus profonde et proportionnellement répandue que, par exemple, l’angoisse du millenium[28] ou 2) qu’elle est plus définitive que celle qui serrait la gorge de bien des humanistes de la fin du XVème siècle ou 3) que Pierre rencontrera un jour le loup.
Bref en posant la question de la mort de notre civilisation, est-ce que, nous qui vieillissons, ne faisons que projeter un fantasme de finitude à grande échelle qui n’est que le reflet de notre propre finitude? Imaginons-nous une mort grandiose parce que nous ne pouvons faire face aux discontinuités, assimilations et évolutions qui marquent les morts de nos petites croyances, modes de vie, mœurs et habitudes. Il y a, osons l’avouer, en nous tous, caché au plus profond de notre désir de vivre, celui d’emmener dans notre tombe ceux et celles qui oseraient nous survivre.
Peut-étre c’est trop pessimiste? Mais je suis d’accord.
Enough of that. I have Jared Diamond’s ‘Collapse’ and it’s a load of tripe.
I struggled through the French, then I saw an approving statement – in English – about Martin Rees.
This is the man that set out to destroy the Royal Society for the sake of the “global warming” hoax. (He was at the same time Master of my Cambridge college – sigh).
I suspect Keir and I may be on the same page here (perhaps “nous suivons le même cochon”).